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Géopolitique des sentiments

A rebours d’une visite patrimoniale ou d’une désintégration du chef-d’œuvre de Racine, Damien Chardonnet clame ici son amour pour Andromaque avec l’ambition de dévoiler les lignes de force d’une pièce qui raconte, ici et maintenant, le ressassement d’un passé glorieux et les espoirs envolés d’une société guettée par le repli sur soi. Propos du metteur en scène avant cette création coproduite par le Phénix à Valenciennes.

© Photo de répétition
© Photo de répétition

Avant de réfléchir sur la mise en scène de la pièce de Racine, je me suis interrogé sur comment donner un accès à cette œuvre, à cette langue sans être dans une démarche patrimoniale, ni dans une posture où je voudrais réinventer Racine, révolutionner son approche.

© Photo de répétition

 

 

 

 

 

 

Une pièce politique

Dans Andromaque, paradoxalement, Andromaque n’est pas le sujet de la pièce. Chaque personnage principal – Andromaque, Hermione, Oreste et Pyrrhus – est à lui-même son propre sujet. Chacun n’est occupé que par le récit de sa propre histoire. Chacun est sa propre douleur, sa propre souffrance, sa propre narration. J’ai d’ailleurs ramassé les rôles des confidents en un seul protagoniste comme si chaque discours de ces quatre personnages ivres d’eux-mêmes se projetait sur le même miroir, révélant leur solitude, leur enfermement.

Les quatre protagonistes de la pièce appartiennent tous à des territoires différents et dessinent une géopolitique amoureuse où des territoires se confrontent, plus que de purs affects et sentiments. On a ainsi le sentiment que ce poème dramaturgique est un entrelacement de quatre poèmes. Et lorsqu’on est incapable de parler avec l’autre, de partager son territoire et qu’on est enfermé dans ses propres frontières, il reste trois solutions : soit on meurt comme Hermione et Pyrrhus ; soit on devient fou comme Oreste ; soit on devient un tyran comme Andromaque qui récupère le pouvoir les pieds dans le sang. Cette histoire raconte ainsi l’histoire qui est la nôtre aujourd’hui, une société perdue dans la contemplation de son propre déclin fantasmé, dans le ressassement permanent de son passé glorieux, de son avenir désespéré, de ses espoirs perdus.
Retrouver l’urgence de la langue de Racine
Racine écrivait pour un public de cour très éduqué et son texte est truffé de subtilités référentielles mais ce qui est important, ce n’est pas que le public d’aujourd’hui en saisisse toutes les nuances mais de lui donner une multiplicité de pistes pour qu’il puisse tirer le fil qui l’intéresse. D’autre part, je veux lui faire entendre l’essence de cette langue en lui redonnant son caractère physique, sanguin et même sa folie à l’image de la fameuse interrogation d’Oreste : «Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?». Je veux retrouver le muscle de cette langue sublime, son battement, son urgence.
Représentations du 23 au 27 janvier au Phénix, boulevard Harpignies à Valenciennes. Renseignements et réservations au 03 27 32 32 32 ou sur www.lephenix.fr

 

Puis les 30 et 31 janvier à 20h au Manège, rue de la Croix à Maubeuge. Renseignements et réservations au 03 27 65 65 40 ou sur www.lemanege.com