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EnerSys, pionnier de la «Vallée de la batterie»

Avec une gigafactory de 47 000 m² et plus de 800 collaborateurs, EnerSys, leader mondial des batteries industrielles – dont le siège est basé aux États-Unis –, avec 10 000 employés et un chiffre d’affaires annuel de 3,6 milliards de dollars, est implanté à Arras depuis plus de 50 ans. Il s’agit aujourd’hui de son plus grand site de production et du premier employeur privé de la Communauté urbaine. Une histoire intimement liée à l'héritage minier de la région, que nous relatent Cyrille Sobanski, directeur du site arrageois, et Vincent Baudelet, vice-président sales & services d'EnerSys Europe, Moyen-Orient et Afrique.

Vincent Baudelet et Cyrille Sobanski © Lena Heleta
Vincent Baudelet et Cyrille Sobanski © Lena Heleta

Pouvez-vous revenir sur vos parcours respectifs ?

Cyrille Sobanski. Cela va faire 20 ans que je travaille ici. Je suis un bébé EnerSys ! J'ai fait des études en économie et management à l'université d'Artois, puis occupé différents rôles dans l'entreprise : achats, logistique, supply chain… En 2018, j'ai mis en place et dirigé notre hub européen (voir encadré). Puis on m'a proposé le poste de directeur du site en 2022. J'ai soufflé ma troisième bougie à cette fonction le 9 mai !  

Vincent Baudelet. Comme l'a dit Cyrille, on a tendance à rester chez EnerSys ! J'ai encore plus de séniorité que lui ! Juste après avoir terminé mon école de commerce à Lille, j'ai commencé – après avoir été chasseur alpin –, en 1995 à Arras au service export. On m'a demandé de déployer un réseau de distribution dans les économies émergentes. Rapidement, cela s'est transformé en implantations de filiales – Turquie, Russie, Maroc, Afrique du Sud –. En 2008, je suis parti à Dubaï où j'étais en charge des trois principales lignes de business : Energy System (les batteries qui ne bougent pas), Motive Power (matériel roulant) et les Specialities, avec des applications principalement en Défense). Depuis 2019, je suis basé à Zoug, près de Zurich.  

Qu'est-ce qui vous anime dans vos fonctions chez EnerSys ?

CS. Changer de poste tous les deux-trois ans est sans doute ce qu'il y a de plus stimulant. En travaillant, en étant engagé, en 'vivant EnerSys', on est récompensés.  

VB. Quand j'ai commencé il y a 25 ans, je me disais 'les batteries industrielles c'est quoi ? Ça sert dans les voitures'… personne ne savait comment elles étaient utilisées ! Désormais, tout le monde en parle, notamment avec le déploiement des véhicules électriques, mais pas seulement : on voit encore ce qu'il s'est passé dernièrement avec le blackout en Espagne. Nous avons besoin de systèmes d'énergie de secours, et dans les data centers notamment… le champ des applications s'est énormément développé ces dernières années, ce qui rend le travail intéressant. Et notre management global fait que l'on a tendance à rester.

© Lena Heleta

Quelle est l'histoire du site d'Arras ?

CS. EnerSys, qui existe en tant que telle depuis 2002, est en fait la fusion de différentes entreprises. À Arras, nous nous sommes donc appelés Oldham, puis Hawker®, pour devenir EnerSys en 2002…

VB. À l'origine, l'entreprise s'appelait en effet Oldham. Une société britannique créée dans les années 1920, qui s'est implantée en 1949 dans les locaux de l'industriel Arras Maxei parce que leur activité principale était la fabrication de batteries pour les lampes des casques des mineurs. L'ancrage est vraiment le bassin minier… plus de 80% des mineurs étaient équipés de ces casques ! Le marché évoluant, la demande était croissante. Puis avec la cessation de l'activité minière, nous avions un vivier d'emplois intéressant, et en 1973 nous avons emménagé sur ce nouveau site arrageois. Durant les 30 glorieuses, on a aussi équipé toute la partie entreprises nationales, mais aussi les PTT… jusqu'au Tunnel sous la Manche !

Vous êtes de surcroît à un carrefour européen, or EnerSys Arras exporte à hauteur de 40%…

CS. Quand j'ai la chance de présenter le site aux clients, la première chose que je leur dis est que nous sommes sur un emplacement exceptionnel. C'est l'une des raisons qui a fait valoir le fait que l'on installe ici en 2018 notre hub européen, rattaché à l'usine (voir encadré). La proximité des grandes capitales et des  ports du Benelux ou encore du Havre est primordiale, et tout passe désormais par Arras. C'est un atout majeur pour l'import et pour l'export. Arras joue le rôle de massificateur pour tous les produits EnerSys qui sont fabriqués à travers le monde et distribués en Europe et au Moyen-Orient.

© Lena Heleta

Vous êtes le premier employeur privé à Arras, avec plus de 800 salariés et entre autres le label ISO 9001, qui démontre un fort attachement RSE : quel management pratiquez-vous ?

VB. On a beau être un groupe coté en bourse, notre top management est historiquement composé de spécialistes de la batterie, à l'image de notre actuel CEO (David Schaffer, ndlr), et du précédent. La philosophie est ce que l'on appelle le servant leadership, c'est-à-dire le leadership au service des équipes, à l'écoute de leurs besoins. Être sûrs que les collaborateurs adhèrent à la stratégie en place. C'est pour cela que l'on a relativement peu de turnover par rapport au benchmark de l'industrie. On n'est pas du tout pyramidaux. Nous avons des valeurs fortes, une culture paternaliste dans le sens positif du terme, intimement liée à notre passé minier. La convivialité, la transparence, la responsabilité sont des valeurs portées par nos managers.

En 50 ans, vous avez opéré une véritable révolution, en passant à des batteries pionnières TPPL (plaques fines en plomb pur) et les lithium-ion, qui contribuent à définir l’industrie de demain… Quelle est leur valeur ajoutée, notamment environnementale ?

VB. On est vraiment en train de se diversifier avec la batterie lithium, alors que nous étions historiquement sur le plomb. Tout ce que l'on fait est axé vers les énergies renouvelables. Si l'on change le moteur à combustion d'un chariot élévateur pour un moteur électrique, c'est considéré comme de l'énergie verte, et notamment parce que c'est fabriqué dans le Nord : on aide nos clients à réduire leur bilan carbone.

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CS. La partie plomb acide est très mature sur sa recyclabilité et la gestion du déchet. Ici, on ne fabrique plus que des TPPL, ce qui est très différenciateur par rapport à la concurrence. On a un produit qui va se positionner entre le plomb conventionnel et le lithium-ion, qui est un produit intermédiaire. Les besoins de nos clients sont évidemment grandissants sur les aspects de développement durable et on est sollicités pour verdir nos process globaux. Nous sommes par défaut des métallurgistes, donc nous avons des usines très énergivores, mais on travaille énormément sur nos réductions d'émissions de CO2. Entre 2021 et 2024, nous avons réduit notre consommation de gaz de 50%. Notre intensité énergétique a baissé de 38% sur la même période. Nous avons obtenu la certification ISO 50001 sur le management de l'énergie pour mettre en avant ce mouvement. EnerSys vise la neutralité carbone sur ses émissions de Scope 1 (notamment la combustion de gaz) d’ici 2040, et sur ses émissions de Scope 2 (liées à la consommation d’électricité) d’ici 2050. À ce jour, nous sommes en avance sur ces objectifs.

Quels sont les secteurs les plus porteurs de votre marché ?

VB. Actuellement, c'est le segment des batteries pour la manutention : véhicules autonomes, chariots élévateurs. Et les data centers – une société comme OVHcloud ne peut pas se permettre de perdre de la donnée donc a besoin de batteries de secours ! –. Enfin, les énergies renouvelables sont elles aussi très porteuses.

Quels sont vos challenges ?

VB. Le marché automobile souffre, or il y a énormément de systèmes de logistique dans cette industrie. Mais grâce à notre diversification sectorielle, et notamment les data centers, on est relativement équilibrés. Le vrai challenge, c'est que le métier change. Aujourd'hui, on parle de R&D, de concurrence, de gigafactories, et c'est l'une des raisons pour lesquelles on a triplé notre effectif en recherche et développement à Arras.

Plus globalement, la chance de notre activité – le stockage d'énergie –, est que s'il s'agit d'un un marché très sensible à la conjoncture, en ce qui concerne les télécom, les data centers, ou encore le nucléaire, ce sont des cycles de réflexion beaucoup plus longs, ce qui nous permet d'absorber les variations. Nous avons la chance de ne pas être sur un seul segment de marché : nos batteries sont utilisées dans énormément de secteurs. Nous avons un partenariat avec Verkor pour fabriquer des cellules aux États-Unis. Et demain peut-être que l'on fabriquera pour eux des systèmes à Arras… C'est important pour la région ! 

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Mais la réglementation européenne est lourde, pas seulement en termes de barrières douanières. Les directives batterie sont différentes selon les pays et ne nous protègent pas complètement : sur le recyclage des batteries lithium, on a plein de produits qui arrivent d'Asie qui sont d'une chimie qu'on ne peut pas recycler. Et là, est-ce que l'UE va être capable de mettre en place une économie circulaire ?... ça n'est pas clair pour le moment.

CS. Il y a beaucoup de challenges. On est dans un monde très mouvant en ce moment, et en même temps, la vallée de la batterie, les besoins en énergie, la durabilité, cela a beaucoup de sens et nous sommes vraiment dans un secteur industriel porteur. Je pense que c'est là qu'il faut être en ce moment !

En 2023, votre site a célébré ses «50 ans consacrés à rendre l’énergie accessible à tous». Quelle est la clé de votre succès ?

VB. On aime dire chez EnerSys que le service client est dans nos gènes. On ne fabrique pas qu'un produit industriel, et la clé de la réussite de notre stratégie est que l'ensemble des salariés y adhère. On est reconnus parce que dans la batterie plomb et lithium, il y a énormément d'extra-capacité – notamment avec la Chine et les difficultés du véhicule électrique –. Donc on ne peut pas faire la différence simplement avec le produit, mais avec toute notre approche, dont le servant leadership (leadership par le service). Nous avons une vraie force d'équipe, du top management aux gens qui travaillent dans l'usine.

CS. Ce sont principalement les équipes. Les femmes et les hommes qui font qu'après 50 ans, on est toujours là. La motivation, l'envie et la confiance du groupe pour saluer cela. On a investi plus de 60 millions d'euros sur le site ces huit dernières années. Il y a une volonté d'accroître notre capacité de production, de simplifier et de rendre plus sûrs nos activités et nos équipements. Tous les projets que l'on nous a confiés au niveau du groupe, nous les avons mis en œuvre dans les temps, ce qui nous permet tous les ans de nous développer sur de nouveaux produits. La partie TPPL, la batterie lithium, font qu'aujourd'hui Arras est le site qui fabrique tous les produits premium d'EnerSys. C'est porté par des équipes qui se relaient en permanence, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, avec un niveau de qualité extrêmement important.

© Lena Heleta


La batterie industrielle, quésaco ?

Une batterie industrielle est une source d’énergie autonome conçue pour alimenter des équipements dans des environnements critiques, souvent sans possibilité de coupure. Ce ne sont pas les batteries que l’on trouve dans nos téléphones ou nos voitures : elles sont plus puissantes, plus robustes et conçues pour durer. Ses clients sont présents dans la logistique, les plateformes automatisées, les télécommunications et infrastructures IT, qui nécessitent une alimentation de secours continue, l’industrie, les transports ferroviaires, les énergies renouvelables ou encore des applications plus sensibles comme l’Armée, les aéroports ou les centrales nucléaires.Du côté de leur matière, il existe, telles que les produit EnerSys, les batteries plomb-acide, qui ont l’avantage d’être recyclables à près de 100%. La batterie lithium-ion, plus récente, est plus légère, plus compacte, et offre une densité énergétique supérieure. Elle est idéale pour les applications où la compacité est un critère clé.

Hors-cadre 

Un lieu favori ?

Cyrille Sobanski. J'ai eu la chance d'aller au Japon dernièrement, à Nagoya, une ville traditionnelle. Ce voyage m'a ouvert les yeux sur la discipline et l'humilité.

Vincent Baudelet. La montagne. J'ai été chasseur alpin. Et pour se ressourcer, c'est un lieu extraordinaire. J'ai la chance d'y habiter…

Une personne qui vous inspire ?

CS. Art Byrne. Il a écrit Le virage Lean. Cet industriel a su tirer parti de ce que le Lean Manufacturing (une méthode de production qui se concentre sur la gestion sans gaspillage, ndlr) peut apporter si on le prend comme une stratégie et pas juste comme une boîte à outils : il faut garder l'homme au cœur du système.

VB. J'ai longtemps été influencé par Yannick Noah, qui a su à la fois fédérer en restant lui-même et tirer le meilleur de ses équipes dans les moments importants. En termes de leadership, c'est un exemple pour moi...

Un conseil pour un jeune dirigeant ?

CS. Être présent sur le terrain, écouter plus qu'on ne parle, être clair sur là où on veut aller mais rester ouvert sur la manière d'y aller.

VB. Ce que je dis toujours à nos équipes, c'est 'dis-nous ce que tu vas faire, fais ce que tu as dit, et surtout : écris ce que tu as fait !'... 

© Lena Heleta

Le Distribution Center, «une solution globale pour des clients globaux»

«Nous avons bâti, en 2018, un hub européen rattaché à notre site d'Arras qui renforce la cohérence entre vision stratégique et discipline d’exécution. En Europe, EnerSys a trois usines : au Pays de Galles, en Pologne et en France, mais on commercialise dans tous les pays européens et du Moyen-Orient avec des gammes élargies de batteries qui ne sont pas fabriquées uniquement dans ces usines. Des produits sont en provenance d'Amérique et d'Asie, et donc c'est un point de stockage pour garantir un bon délai à nos clients quel que soit le type de produit qu'il commande. On a ainsi une espèce de portfolio élargi avec des timings qui ne prennent pas en compte l'aspect temps de transport maritime», explique Cyrille Sobanski. «Nous avons voulu donner une solution globale à des clients qui sont de plus en plus globaux», résume Vincent Baudelet.

Chiffres clés

- Chiffre d'affaires du groupe : 3,6 milliards de dollars, dont un milliard en Europe 

- 10 000 salariés, dont 800 à Arras

- Site arrageois : 47 000 m2

- Un hub européen de distribution de 6 000 m2

- Des dizaines de milliers d’éléments de batteries et chargeurs livrés chaque mois dans le monde entier (40% d'export)