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Anatomie du couple

Réunissant Démons, pièce de Lars Norèn et Une maison de poupée, adaptation du chef-d’œuvre d’Ibsen, Lorraine de Sagazan signe un détonant diptyque explorant le motif du couple occidental. Une vertigineuse mise en abyme de la représentation où le public, pris à témoin, est au centre de l’espace de jeu.

© Marco Zavagno
© Marco Zavagno

«Ce qui me passionne, confie Lorraine de Sagazan, c’est la possibilité de faire surgir la vérité au théâtre. Cela me plaît qu’on ne sache jamais tout à fait si c’est du réel ou de la fiction, j’aime qu’on soit entre les deux. Au fond, la question qui est au centre de mon travail, c’est : quelle place donner au spectateur ? Que lui permet-on de vivre ? Quelle est la spécificité de cet art du vivant ?».

 

Démons

Ce texte défoliant de Lars Norèn dessine la saisissante combustion d’un couple qui se donne en spectacle. Incapables de s’extraire du bourbier d’affects dans lequel ils pataugent, Lucrèce et Antonin  convient ainsi leurs voisins au désolant spectacle de leurs déchirements, variation hystérique d’un soap opera gluant de sentimentalisme. Sauf que ces locataires interpellés se révèlent être le public lui-même, spectateurs médusés devant tant d’exhibitionnisme affectif maquillé en show où les frontières entre l’interprétation acérée et l’improvisation débridée s’avèrent poreuses. Magnifié par un duo de comédiens sur le fil du rasoir – au centre d’une dispositif bi-frontal, entre ruptures et proximité, déflagration et délectation –, le spectacle chemine avec virtuosité dans le dédale intime de ce couple en souffrance, assumant avec force la fragilité de son dispositif. Soit la mise à nu d’une effrayante noirceur ordinaire, lorsque les masques tombent… Le théâtre comme laboratoire de vérité, au cœur du vivant.

© Marco Zavagno

Une maison de poupée

Cette adaptation du chef-d’œuvre d’Ibsen plonge les personnages dans le bain révélateur de l’égalité des sexes et du désir amoureux constamment menacés par les dérives conservatrice et misogyne d’une société asphyxiante. Délaissant la version originale d’une pièce où les personnages de Nora et de son mari Torvald incarnaient deux conceptions morales du XIXe siècle, la metteuse en scène a réécrit les rôles afin de questionner notre société à travers un couple du XXIe siècle : Nora travaille ainsi comme juriste dans une grande banque d’affaires tandis que Torvald, licencié depuis peu, s’occupe de ses enfants avec plaisir et tente de composer des chansons sans véritable ambition. Un couple moderne, indépendant et heureux qui, très vite, va se heurter aux carcans culturel, psychologique et social menaçant leur identité et leur liberté. Ouvrant son spectacle avec un extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes, Lorraine de Sagazan cultive avec justesse l’ici et maintenant du plateau où, au fil de séquences acérées et rythmées, elle jette une lumière troublante et dérangeante sur nos vies et nos amours contrariées. Soit un périple escarpé et fulgurant dans l’intimité d’un couple qui nous ressemble.

Représentations du 16 au 20 avril au Phénix, boulevard Harpignies à Valenciennes. Renseignements et réservations au 03 27 32 32 32 ou sur www.lephenix.fr