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Avril : la cosmétique sans artifices

Animé par l'épanouissement des équipes et l'envie de rendre le secteur cosmétique plus vertueux, Alexis Dhellemmes a créé la marque Avril en 2011 à Bondues. Distribués partout en France, les produits imaginés à Bondues sont le fruit d'une longue réflexion éco-responsable, de leur conception à leur packaging en passant par le transport.

Alexjs Dhellemmes a fondé les cosmétiques Avril il y a un peu plus de 10 ans. ©Lena Heleta
Alexjs Dhellemmes a fondé les cosmétiques Avril il y a un peu plus de 10 ans. ©Lena Heleta

La marque Avril, née en 2011, est le fruit d'une longue réflexion couplée à votre expérience professionnelle en grande distribution. Pourriez-vous revenir sur l'historique de la marque ?

Pour être honnête, Avril n'est pas ma première création ! En 1989, alors que j'étais étudiant, j'avais monté un projet dans le linge de maison. J'ai essayé pendant 4 ou 5 ans mais ça n'a pas fonctionné ! Je suis rentré chez Auchan en 1994 comme chef de rayon puis acheteur et chef de groupe et j'y suis resté 17 ans ! Dans les dernières années, j'étais responsable du pôle des produits d'entretien pour la maison – cosmétiques, parapharmacie, soin bébé et aliments bébé – et comme je suis assez écolo, j'observais les trop faibles ventes de la cosmétique bio et quand j'interrogeais les consommateurs, beaucoup disaient que c'était trop cher. A ce poste, j'ai réalisé que le modèle économique des marques était de dépenser beaucoup d'argent en marketing...

Et vous avez donc décidé de faire tout l'inverse ?

En effet, je me suis dit qu'en adoptant un autre modèle économique, il serait possible de proposer des produits bio à un prix beaucoup plus abordable. J'ai quitté Auchan fin 2011 pour créer Avril avec la mission de rendre le bio accessible pour tous grâce à un modèle économique assez original pour le milieu de la cosmétique : aucun budget pour la publicité ou la communication ! Et c'est ce qui nous permet de proposer des produits bio de qualité, fabriqués en France, à un prix incroyable.

C'est un sacré pari, surtout pour une marque de cosmétique, alors inconnue, de se lancer sans publicité...

Évidemment, comme j'avais eu l'idée un peu saugrenue de lancer une marque sans aucun budget pour la faire connaître, elle est restée inconnue pendant longtemps (rires) ! Ce n'est qu'à partir de 2015 que le chiffre d'affaires a commencé à décoller. En 2016, on a fait 3 millions d'euros... trois salariés !

Revenons justement sur votre modèle économique. Au départ, Avril n'était que sur le web.

En 2005, quand j'ai commencé à réfléchir à lancer la marque, j'avais l'idée de créer une chaîne de magasins, comme c'est le cas aujourd'hui. Mais au vu des investissements importants, un de mes amis m'a suggéré de lancer un site web (Alexis Dhellemmes dirige aujourd'hui l'entreprise avec cinq associés, ndlr). J'ai donc changé d'optique ! On a immédiatement développé deux canaux de distribution : le site web et les revendeurs. Notre première vente, je m'en rappelle encore, en avril 2012, était pour un magasin bio qui ouvrait ses portes en région parisienne. Et on a ouvert la toute première boutique, rue Esquermoise, à Lille, fin 2016.

Aujourd'hui, comment se structure votre activité ?

Nous avons rapidement été interpellés par les consommateurs qui voulaient essayer les produits. Parce qu'acheter une crème ou du maquillage sans pouvoir l'essayer, c'est quand même compliqué ! Il fallait une boutique avec toute la gamme à tester mais aussi des équipes pour conseiller. On a choisi le Vieux-Lille parce que j'ai encore bien conscience qu'Avril n'est pas suffisamment connue pour que ce soit une destination ! Il faut que les gens passent devant et se disent que ça a l'air chouette pour y entrer, c'est pour cela qu'on choisit toujours de très bons emplacements. Les boutiques, aujourd'hui, sont l'essentiel de notre activité (voir encadré).

Concernant les revendeurs, nous sommes présents dans 3 000 pharmacies de France, aux Galeries Lafayette, au Printemps, dans des magasins bio, des instituts de beauté, des concepts stores et de nombreux sites Internet de cosmétique. On ne sera jamais en grande distribution et même si on ne se l'interdit pas, on ne travaille pas directement avec des market places.

Où sont fabriqués vos produits ?

Nous travaillons avec 40 fabricants dont 38 en France et deux en Italie (qui fabriquent une partie du maquillage, ndlr). Dans les Hauts-de-France, c'est par exemple Alkos Cosmétiques, à Hesdin l'Abbé, qui produit nos crayons de maquillage. Le critère numéro 1, c'est la qualité puisque le positionnement d'Avril, c'est une super qualité pour des produits bio à un prix très abordable et avec le moins d'emballage possible. Comme nous n'avons pas de budget pour nous faire connaître, on compte vraiment sur le bouche à oreille et il n'existe que si les gens sont satisfaits...

Une autre particularité d'Avril, au-delà de son positionnement prix, c'est qu'il n'y aucun packaging inutile.

Oui, c'était le cas dès le départ. Beaucoup de choses me semblent absurdes d'un point de vue environnemental. Quand j'étais chez Auchan, j'ai demandé à des géants comme Colgate, Unilever ou Procter&Gamble, de retirer l'étui carton de leurs dentifrices. Ça se fait déjà aux Pays-Bas, pourquoi pas en France ? Ils n'ont pas voulu le faire et uniquement pour une question de visibilité : l'étui en carton sert à mieux ranger les produits et à ce que la marque soit plus visible. Le marketing est donc plus important que l'environnement ! C'est révoltant ! Donc quand j'ai créé Avril, on a supprimé les emballages inutiles. On vend nos crèmes en tube, sans étui carton supplémentaire et c'est pareil pour tous les produits. Ça n'a aucun sens de suremballer. Et le consommateur profite directement de cette économie.

Vous avez aussi décidé d'arrêter totalement de faire des soldes.

Depuis 2019, on ne fait plus de promotions ; on en faisait déjà peu. Au moment du Black Friday, on faisait un Green Friday en reversant 5% de nos ventes à la plantation d'arbres. Mais on s'est dit qu'en faisant des promotions, on encourageait la consommation impulsive. Au début, les consommateurs étaient surpris, mais quand ils voient nos prix, ils comprennent...

Vous venez d'ouvrir une boutique à Tours. Aujourd'hui, Avril possède un réseau de 63 magasins, dont 58 en France. Quelle est votre stratégie sur les ouvertures ?

Nous avons quatre boutiques dans les Hauts-de-France (deux à Lille, une à Amiens et une à Longuenesse, ndlr) mais aussi en Wallonie, à Madrid et deux franchises à Casablanca et à l'Ile Maurice. Chaque ouverture est un pari. On a dû fermer 4 ou 5 boutiques depuis le début et ça va encore arriver, ça fait partie de la vie du commerce. On ouvre des boutiques là où il y a des opportunités.

On mise surtout sur l'expérience d'achat : on entre dans un lieu sympa, avec une équipe de vente qui vous conseille. Il faut d'ailleurs savoir que nos équipes n'ont pas d'objectifs de chiffre d'affaires ni de panier moyen, ça change tout et c'est très rare dans les métiers de la vente.

Dans vos boutiques, là-aussi, vous pensez environnement et éco-conception.

J'ai créé Avril pour réduire la pollution du secteur de la cosmétique mais cela ne s'arrête pas au produit ! Tout ce qu'on peut faire pour réduire l'empreinte environnementale de notre activité, on le fait. Nous n'avons pas un concept à dupliquer partout, chaque boutique Avril est différente, imaginée par un(e) architecte local(e), qui va faire réaliser les travaux par des entreprises locales. Tout ce qu'on trouve dans la boutique et qu'on peut récupérer, on le fait.

J'aimerais que l'on revienne sur votre management : vous définissez Avril comme une entreprise libérée, dites-nous en plus...

Chez Avril, chacun est décisionnaire. Je vais vous donner un exemple : il y a 6 mois, nous avons lancé un spray fixateur de maquillage. La responsable de l'offre produit est sous ma responsabilité directe et pourtant, je n'étais pas au courant de ce lancement. Elle ne m'a pas demandé si je trouvais que c'était une bonne idée et je m'en réjouis car c'est elle la professionnelle. Les collaborateurs prennent des initiatives parce qu'ils se sentent la liberté de les prendre. En tant que chef d'entreprise, cela vous demande une humilité mais c'est dans mon caractère. Si on veut devenir une entreprise libérée, la première chose que le chef d'entreprise doit faire, c'est se libérer de son ego ! Il doit se débarrasser de l'idée selon laquelle il sait mieux que tout le monde et je n'ai aucun problème avec cela. Ce qui m'anime, c'est d'agir pour l'environnement et l'épanouissement des collègues. Mes collègues sont plus compétents que moi, chacun dans leur domaine. Et je vous avoue que je détesterais devoir décider de tout (rires) !

Questions bonus

Une personne qui vous inspire ?

Maxime de Rostolan, un entrepreneur militant éco-responsable. Il a créé Sailcoop, une entreprise de transport de passagers à la voile. Il est aussi à la tête du projet «Fermes d'avenir» qui développe l'agriculture bio et la permaculture en France. Et côté Hauts-de-France, j'adore ce que fait Emmanuel Druon de Pocheco.

Un lieu favori ?

J'aime faire des randonnées en montagne, marcher dans la neige et la forêt, et déboucher sur des panoramas extraordinaires.

Un conseil pour un jeune entrepreneur ?

Prévoir large dans ses financements ! Quand on crée une entreprise, évidemment, on croit en son projet sinon on ne le lancerait pas, mais on est toujours trop optimistes et on pense toujours que ça va décoller vite !

Quelques chiffres

- 37 millions d'euros de chiffre d'affaires (2 millions d'euros sur le web, 10 millions d'euros via les revendeurs, 25 millions d'euros en boutiques)

- 250 salariés : 220 dans les boutiques, 30 au siège de Bondues

- 8 millions d'articles vendus par an