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Implantée à Roubaix

Teinturerie de la Justice, la petite main des grands noms du textile

Reprise en duo pour Teinturerie de la Justice, à Roubaix : alors qu'il n'avait que 25 ans, Frédérik Vernez a repris la société familiale en 2015 avec sa compagne, Marine Telenszak. À eux deux, ils poursuivent la saga familiale de ce teinturier né dans les années 1930. Ils ne sont plus qu'une dizaine sur ce marché dans les Hauts-de-France.

Frédérik Vernez, dirigeant de Teinturerie de la Justice, à Roubaix.
Frédérik Vernez, dirigeant de Teinturerie de la Justice, à Roubaix.

Chez Teinturerie de la Justice, la couleur fait partie des murs : teinturier sur fils et bobines, l'entreprise familiale teint à façon toutes les matières, en unicolore comme en multicolore. Et il ne s'agit pas simplement de tremper le fil dans un bain de couleurs : une quinzaine de paramètres doivent être maîtrisés comme le temps, le produit, la densité... «On prépare le fil avant l'étape du tissage ou du tricotage. Toutes les matières ont une qualité exigeante et notre force, c'est de ne pas être mono-produits. On teint des bobines de fibre de coton, de cachemire, de viscose, de polyester... avec une prédominance du lin» explique Frédérik Vernez.

Le luxe s'invite à Roubaix

Historiquement, Teinturerie de la Justice avait le secteur de l'ameublement pour les trois-quarts de son activité. Parmi ses clients, l'éditeur parisien de tissu d'ameublement Lelièvre, le groupe Texdecor, spécialiste des revêtements muraux et panneaux acoustiques (à Willemse) mais aussi des adresses prestigieuses du luxe : Dior, Hermès, Chanel, Louis Vuitton... «Ce sont des acteurs qui cherchent des compétences spécifiques comme la résistance à la lumière ou au lavage» détaille le gérant.

«Tout ce qui est teignable, on peut le faire. En fait, c'est un peu comme une grande cocotte minute avec un bain de teinture dans lequel on insère les bobines de nos clients. Nous sommes des teinturiers sur-mesure, le client ne veut pas de couleurs catalogue» précise-t-il, en montrant par exemple cette bobine de fil aux couleurs chatoyantes qui a servi à l'une des robes de Kate Middleton lors de son mariage.

Les bobines sont plongées dans des autoclaves. Il y en a 25 dans l'usine.

Les fils qui passent par Teinturerie de la Justice peuvent donc à la fois se retrouver dans le textile sportswear mais aussi dans les implants médicaux (conçus par Cousin Biotech, à Wervicq-Sud)... Si l'entreprise comptait 90 salariés dans les années 1990 et pouvait teindre jusqu'à 6 ou 7 tonnes de fils par jour, aujourd'hui, ils ne sont 42 pour moitié moins de quantité. «À mon arrivée en 2015, on comptait une trentaine de salariés pour 2 tonnes. On est montés en volume pour se stabiliser ensuite. On a voulu se préserver parce qu'on travaille sur du haut de gamme. En fait, nous sommes des sous-traitants de l'ombre». Dans les Hauts-de-France, on ne compte d'ailleurs plus qu'une dizaine de teinturiers.

Croissance externe

Aujourd'hui l'entreprise affiche un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros réalisé en France, en Belgique ou aux Pays-Bas. Le site historique de Roubaix s'étend sur 8 000 m2 mais l'entreprise a connu des hauts et des bas : «cela commençait en 2018 avec la crise des Gilets Jaunes et les difficultés pour le commerce. Puis en 2019, on a connu une pénurie de matières colorantes et les pigments ont été délocalisés en Asie. Rien qu'en six mois, le prix des colorants a doublé voire triplé. Et avec le Covid, quand les touristes ne peuvent plus venir, forcément le commerce du luxe est freiné. Mais on a su naviguer entre les gouttes» tempère le dirigeant.

Heureusement, la forte reprise du secteur l'ameublement fin 2020 a permis à Teinturerie de la Justice de maintenir l'entreprise à flot qui aujourd'hui, doit faire face à l'augmentation de ses factures : 200 000€ en année normale, 465 000€ en 2022 (dont 30 000€ d'aides de l'Etat) et 750 000€ en 2023 (dont 150 000€ d'aides). Derrière, une augmentation inéluctable du prix, entre 20 à 25% : «Nous avons déjà des marges trop faibles pour investir mais les clients ont compris les hausses de prix, nous avons eu de la chance. Dans le secteur du textile, nous sommes les plus consommateurs d'énergie. C'est impossible de teindre à l'eau froide».

Pour conserver ce savoir-faire, Frédérik Vernez et Marine Telenszak ont repris l'an dernier l'Atelier Pile Couleurs composé aujourd'hui de cinq collaborateurs – ils étaient jusqu'à 200 au plus fort de l'activité il y a des décennies – : «Ils sont spécialisés dans la teinture de tissus. L'entreprise a fermé en 1995 mais le petit-fils du fondateur avait créé ce petit atelier d'échantillonnage qui propose des prototypes pour les stylistes et les marques». L'Atelier représente aujourd'hui 10% de l'activité.

Une présence sur le long terme

Même si les périodes ne sont pas toujours sereines, Frédérik Vernez garde la passion et surtout, l'envie de perpétuer l'histoire familiale : «J'ai vu mon père devoir se séparer de ses effectifs. Il ne m'a pas poussé à reprendre l'entreprise mais elle est un moteur de notre famille. On est là sur le long terme. On ne peut peut-être pas gagner de l'argent tous les ans mais on veut continuer notre métier». En deux ans, Teinturerie de la Justice a doublé ses effectifs ainsi que son chiffre d'affaires ; depuis sa création, l'entreprise a investi 10 M€ dans l'outil industriel et prévoit encore d'investir en 2024 à hauteur de 300 000€. D'autres opérations de croissance externe seraient sur les tuyaux. L'avenir de Teinturerie de la Justice est loin d'être tout tracé !