Sauvegarder l'article
Identifiez vous, pour sauvegarder ce article et le consulter plus tard !

Entretien avec avec Tom Gauthier, directeur innovation de Powerling à Lille

«L'IA ne remplace pas l'humain, elle vient lui donner des super pouvoirs»

Powerling, groupe international de traduction et de production de contenus multilingues, développe des produits personnalisés à base d'IA, notamment pour le e-commerce. Rencontre avec Tom Gauthier, directeur innovation. 

Tom Gauthier, directeur innovation chez Powerling. © Marine Tesse
Tom Gauthier, directeur innovation chez Powerling. © Marine Tesse

Quel est le cœur de métier de Powerling ?

La société a 25 ans. Elle a été fondée sur le métier pur de la traduction par un couple franco-néerlandais, Anette Van de Loo et Pierrick Mathieu. Et forcément, au fil des années, ils se sont adaptés aux évolutions du marché. Nous sommes également producteurs de contenus multilingues, notamment pour le marketing de sites de e-commerce. Notre mission est d'aider nos clients à performer à l'international. 

C'est une entreprise qui fonctionne avant tout avec du travail humain. Nous sommes 85, avec des traducteurs en interne et un réseau de 3 000 linguistes dans le monde. Ils ont tous une spécialité métier. Par exemple, quand nous faisons appel à un traducteur pour un laboratoire pharmaceutique, il peut être médecin en Chine. 

En termes de chiffre d'affaires, Powerling a enregistré 15 millions d'euros en 2023 et est sur un prévisionnel de 25 millions d'euros pour 2024, notamment grâce au rachat de deux sociétés. 

Quand avez-vous intégré l'IA dans votre offre ?

Il y a une dizaine d'années sont arrivées les Neural machine translation (NMT) (traduction automatique neuronale, ndlr) comme Google Translate ou Deeple. Toute l'industrie de la traduction a eu très peur que ces machines prennent leur travail. Ils se sont dits qu'il fallait qu'ils s'adaptent. Mais aujourd'hui, cette technologie, nous en vendons très peu. Finalement, ça n'a pas été très impactant. Les humains sont toujours au cœur de la production et la machine sert pour des contenus de moindre importance, moins stratégiques. Derrière, il y a une post-édition très conséquente. 

En revanche, depuis un an et la médiatisation autour de l'accès public à ChatGPT, les craintes reviennent. Tout le monde se dit que l'IA va retourner le business model de la traduction. Nous nous sommes nous aussi interrogés sur comment continuer avec cette donnée. Donc, il y a six mois, nous avons mis en place une offre dédiée avec un mantra : «L'IA ne remplace pas l'humain, elle vient lui donner des super pouvoirs».

Comment cela fonctionne-t-il ? 

Nous nous appuyons sur 25 ans de savoirs autour de la traduction : des dizaines de milliards de mots dans plus de 120 langues. C'est tout ce patrimoine de data multilingue qui nous sert à entraîner nos modèles d'intelligence artificielle. Nous avons également fait l’acquisition d’une société européenne spécialisée dans le machine learning et l’IA depuis plus de 20 ans. Il faut démystifier l'intelligence artificielle. Elle existe depuis les années 1950, sauf qu'on l'appelait machine learning. C'était moins bien marketé, tout simplement ! 

Concrètement, dans mon service, 80% de l'usage de l'IA est consacré aujourd'hui à l'offre client : construire des outils pour les aider à continuer à être compétitifs sur leurs traductions et productions de contenus. Et 20% du temps est consacré à la mise en place de l'intelligence artificielle en usage interne, entre autres pour notre contrôle qualité. 

Quel est le plus pour le client d'investir dans un service d'IA ?

Nous avons une offre pour co-construire avec nos clients leur propre écosystème d'IA, complètement personnalisé selon leurs besoins et totalement sécurisé. Aujourd'hui, certaines entreprises se précipitent sur des modèles type chatGPT. Or toutes les données qui y sont saisies sont collectées et les autres sociétés pourront en bénéficier. Se pose ainsi vraiment une question de confidentialité, et de sécurité face aux hackers. Aujourd'hui pour les vrais projets de transformation, nous déconseillons fortement d'utiliser ce type de plateformes. 

De plus, celles-ci étant basées sur l'anglais, ça n'est pas très performant. Par exemple, sur une fiche produit pour un client retail, le résultat ne sera pas optimisé pour le référencement, qui est le nerf de la guerre dans le e-commerce. Cela peut prémâcher le travail, mais en aucun cas on ne peut compter sur ces outils pour effectuer des déploiements structurants et transformants.

Quels logiciels utilisez-vous ? 

Notre force est que nous sommes agnostiques quant aux modèles IA. Nous travaillons avec une vingtaine d'entre eux : Meta, Google, Microsoft... mais aussi des modèles open source, selon l'écosystème IT de notre client. Une fois identifié le cas d'usage, nous allons utiliser tel ou tel modèle. 

Après cette phase de conseil et d'analyse, nous entrons dans la phase d'ingénierie, où l'on va créer l'outil ad hoc. On utilise leurs données - textes, images, audio et vidéo - et créons alors un «language lake», à savoir une énorme base de données de contenus, pour entraîner notre modèle d'IA à produire les résultats escomptés. C'est un service en continu : on fait ensuite du «fine tuning». Cela signifie que l'on va continuer à régler le moteur pour avoir le taux de précision le plus élevé possible. Celui-ci repose sur l'humain, qui va aider la machine à contextualiser.

Quels sont vos grands projets en termes d'innovation ? 

Notre service IA n'a que six mois. L'objectif est que, sous deux ans, il représente 25% de l'activité et réunisse 50 collaborateurs, contre 12 aujourd'hui. Nous souhaitons également intervenir en dehors du champ commercial et marketing : les directions juridiques, l'Éducation, les ressources humaines  ou encore la finance... L'intelligence artificielle peut venir optimiser toutes les strates de ces organisations.

© top images