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Entretien avec Grégoire Kubicki, expert conseil chez SOCABAT GIE, à Marcq-en-Baroeul

«La filière est attaquée de toutes parts»

Grégoire Kubicki est expert conseil en innovation au sein de SOCABAT GIE, à Marcq-en-Baroeul, le cabinet d'expertise de la SMA BTP depuis maintenant 2 ans. Il s'appuie également sur 12 ans d'expérience chez Socotec. Pour La Gazette Nord-Pas-de-Calais, ce spécialiste de l'immobilier nous livre son regard sur le marché actuel et sur les innovations qui peuvent porter la filière.

Grégoire Kubicki, expert conseil en innovation au sein de SOCABAT, le cabinet d'expertise de la SMA BTP.
Grégoire Kubicki, expert conseil en innovation au sein de SOCABAT, le cabinet d'expertise de la SMA BTP.

La Gazette Nord-Pas de Calais. Au vu du contexte, on peut clairement affirmer aujourd'hui que l'immobilier a le cafard. Vous qui côtoyez les entreprises du BTP au quotidien, quel est le moral des troupes ?

Grégoire Kubicki. La filière est attaquée de toutes parts entre la chute de la demande, les conditions de financement difficiles, l'explosion des taux, sans oublier la hausse du coût des matériaux, la pénurie de travailleurs qualifiés et les incertitudes géopolitiques. La crise immobilière touche particulièrement la construction neuve. Donc forcément, tous les acteurs qui œuvrent dans le neuf sont très inquiets et sont contraints de réduire la voilure.

La construction neuve souffre. En revanche, la rénovation, quant à elle, s'en sort. La filière peut-elle trouver un équilibre ?

En effet, la rénovation est désormais priorisée. Les entreprises qui ne sont pas habituées à faire de la rénovation vont être en difficulté, vont devoir se diversifier, et s'adapter à cet enjeu. On estime à 120 000, le nombre de logements sociaux à rénover par an d'ici 2034, ce qui représente entre 6 à 10 milliards d'euros engagés. C'est donc du pain béni pour les entreprises spécialisées dans la rénovation, mais un réel danger pour les entreprises axées sur la construction neuve. Leur terrain de jeu se réduit de manière considérable.

Le secteur du bâtiment représente aujourd'hui 43% des consommations énergétiques françaises et 23% des émissions de gaz à effet de serre français. On s'attaque donc au parc actuel français énergivore, qui constitue une passoire thermique géante, avant de se lancer dans de la construction neuve. La filière a de gros chantiers, à savoir : réduire son impact environnemental, redorer son blason et retravailler son attractivité de manière générale.

Quelles sont les principales innovations qui ont le vent en poupe et qui font avancer la filière ?

L'utilisation des matériaux bio-sourcés et géo-sourcés issus de la bio masse végétale ou animale. Le chanvre, le lin ou encore la laine de mouton peuvent être utilisés comme des isolants par exemple. Ces matériaux ont un bel avenir. La réduction de notre impact carbone passera forcément par ces matériaux. On a également la construction en paille ou en terre crue qui reviennent, finalement ce sont des innovations sans vraiment en être car on revient à des techniques ancestrales ; ce sont des matériaux qui ont beaucoup de vertus et qui nécessitent une expérimentation. 

Ensuite, on a le réemploi des matériaux de construction. Il s'agit du moyen le plus dynamique pour répondre aux enjeux environnementaux, on y voit une belle opportunité. Il faut bien différencier le recyclage au réemploi qui est la récupération des produits de déconstruction mais qui ne sont pas des déchets. Aujourd'hui, on se pose beaucoup de questions sur le réemploi mais également sur l'assurance : comment construire du neuf avec des matériaux qui ont déjà eu une première vie. Il y a donc une vraie difficulté au niveau commercial pour convaincre les acteurs.

L'utilisation du chanvre comme isolant a le vent en poupe. © Pascal Greboval Biosphoto-AFP

Qu'en est-il du béton bas carbone qui revient très souvent au centre des débats ?

Nous sommes actuellement dans une recherche de modification de la composition. Le béton bas carbone, il y a plusieurs façons de l'aborder. En effet, les fabricants visent à optimiser sa composition et cherchent des substituts à ce ciment. Mais on a aussi une autre façon de faire du béton bas carbone, en réduisant les sections de béton, en les optimisant, ainsi qu'en réduisant le dimensionnement des ouvrages, on prend toujours beaucoup de marges de sécurité. La filière essaie d'avoir moins de volumes de béton pour un même projet. Aujourd'hui, l'utilisation du béton bas carbone reste encore marginale et c'est là qu'il y a une vraie carte à jouer.

Comment la filière s'est-elle adaptée aux enjeux environnementaux ?

Il y a la massification des besoins, autrement dit la volonté d'industrialiser. Aujourd'hui on parle de plus en plus de construction hors site, c'est-à-dire de déplacer le chantier pour qu'il soit réduit à une phase d'assemblage sur site. Grâce à ce procédé, on pourrait arriver à la rénovation de ces 120 000 logements sociaux par an. La construction hors site permettrait également par l'industrialisation et la massification des besoins de réhabiliter les friches industrielles françaises. Celles-ci pourraient alors servir d'ateliers de préfabrication.

Si l'on devait résumer, les deux sujets en plein boom actuellement sont la construction hors site ainsi que le réemploi. Quant au béton bas carbone et aux matériaux bio-sourcés, la réflexion a commencé il y a déjà 10 ans et la filière est convaincue de leur utilisation.