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Salti : la location, une affaire de famille

Troisième acteur français du marché de la location de matériels dédiés aux professionnels du BTP, Salti poursuit sa croissance en plaçant la décarbonation au coeur de sa stratégie. Cette ETI indépendante aux 520 collaborateurs et 142 millions d’euros de chiffre d’affaires semble avoir trouvé la recette du succès : le respect pour la planète et les collaborateurs transmis de génération en génération. Interview exclusive avec Jean-Sébastien Guiot, CEO

Jean-Sébastien Guiot (51 ans) et Jean-Christophe Guiot (41 ans) sont la quatrième génération à la tête de l’entreprise familiale. © Lena Heleta
Jean-Sébastien Guiot (51 ans) et Jean-Christophe Guiot (41 ans) sont la quatrième génération à la tête de l’entreprise familiale. © Lena Heleta

Vous êtes aujourd’hui la quatrième génération à la tête de l’entreprise familiale avec votre frère Jean-Christophe. Racontez-nous l’histoire de Salti…

Notre arrière grand-père a fondé l’entreprise Guiot, à Lomme en 1892, spécialisée dans la construction d’usines, d’entrepôts, de bâtiments administratifs ou encore d’églises. Dans les années 1950, la société familiale devient entreprise de transport industriels. Suite au décès de notre arrière grand-père, Madeline Guiot, notre arrière grand-mère prend le relais. C’est alors une des premières femmes à diriger une entreprise dans la région. C’était quelqu’un de très fort qui a voulu tenir le plus longtemps possible pour que ses enfants soient suffisamment grands pour reprendre l’entreprise. En 1960, c’est donc mon grand-père qui prend les commandes et créé Salti, acteur de location de matériel pour les professionnels du BTP.

À l’époque, la location avait-elle le vent en poupe ?

C’était une vraie nouveauté la location de matériel. A cette période, les professionnels préféraient avoir leur propre matériel mais dans un monde de ressources limitées, on sentait que le partage avait beaucoup de sens et la location naturellement avait une place à prendre. A cette époque, Salti œuvre d’ailleurs pour de gros chantiers comme le tunnel sous la manche, les arrivée de Coca-Cola et d’Arcelor Mittal dans le Dunkerquois, la construction de lignes de TGV, d’hôpitaux et du stade de France…

La transmission était-elle anticipée ou s’est-elle faite plutôt naturellement ?

Ni Jean-Christophe ni moi n’étions « prédestinés » à reprendre l’entreprise familiale. La précédente génération nous a donné notre chance. Ils nous ont laissé la main pour vérifier si nous étions réellement motivés puis ont été rassurés. À la nordiste, on m’a dit 'mon fils tu vas comprendre la réalité du métier'. Je suis arrivé en 1998, j’ai commencé commercial terrain. Mon frère Jean-Christophe est arrivé lui il y a 17 ans. Nous avons occupé plusieurs postes jusqu’à celui de directeur général pour Jean-Christophe et celui de président directeur général pour moi, fonction que j’occupe depuis 2011.

On dit souvent que travailler au sein d’une entreprise familiale est une source de motivation supplémentaire. Vous confirmez Jean-Sébastien ?

C’est vrai ! Nous souhaitons avant toute chose rester indépendants et transmettre à la la cinquième génération. Nous ne sommes que de passage.

La précédente génération garde t-elle toujours un œil sur l’activité et la stratégie de Salti ?

Ils ont compris qu’être trop présents poserait plus de problèmes comme on a pu le voir dans d'autres entreprises (rires). Le jour où ils ont décidé de nous transmettre le flambeau à Jean-Christophe et moi, ils se sont complètement retirés et ne viennent plus aux événements désormais. C’est à nous de bosser, chacun notre tour. Ils sont encore présents au conseil de surveillance mais n’interviennent plus dans le quotidien de l’entreprise et sur nos choix stratégiques. Ce qu’il nous ont transmis c’est à la fois des bases solides et de belles valeurs : la préservation de la planète et la proximité avec les équipes.

«Une entreprise familiale ne résume pas en mois mais en génération»

Quels ont été les virages opérés par vous et votre frère depuis que vous êtes aux commandes du groupe ?

La digitalisation et la RSE ! Le métier s’est modernisé et a tellement changé. La génération précédente rêvait d’aller vers le zéro papier, et finalement la stratégie de digitalisation a permis d’automatiser un nombre de procédures incroyables. Côté RSE, cette politique était déjà présente mais à l’époque, les constructeurs n’étaient pas en capacité de produire des gammes vertes et innovantes. Les véhicules électriques par exemple n’existaient pas. Aujourd’hui, on investit énormément sur du matériel décarboné.

Les collectivités construisent moins actuellement par rapport notamment à la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Cela vous inquiète t-il ?

Cela nous impacte indirectement forcément ! Mais avec les collectivités, tout ne tourne pas autour de la construction, il y a aussi l’entretien du parc, etc. On mesurera l’impact dans le futur. Outre les collectivités, nous travaillons avec des entreprises de toutes tailles, des grands comptes aux artisans, et de tous horizons car tout le monde a besoin de travailler en hauteur.

«Nous avons instauré une politique d’évolution en interne très importante» souligne Jean-Sébastien Guiot. © Lena Heleta

La crise actuelle du logement a t-elle un impact sur votre activité ?

On ne ressent pas d’impact sur notre activité, au contraire, Salti est en progression. Nous avons réalisé 130 M€ de CA en 2023 et passerons à 142 M€ de chiffre d’affaires en 2024. Nous avons beaucoup de boulot dans le cadre de la rénovation énergétique et la pose de panneaux photovoltaïques, cela compense le ralentissement de la construction de logements neufs. Finalement s’il y a moins de rachats, il y a toujours des agrandissements ou des extensions, c’est là que nous avons une carte à jouer. Puis la crise du logement ne concerne ni les usines, ni le tertiaire…

«Nous travaillons en permanence sur une dizaine de villes»

Votre croissance se traduit-elle notamment par l’ouverture d’agences chaque année ?

On tourne aux alentours de trois ouvertures d’agences par an et travaillons en permanence sur une dizaine de villes. 2022 marque les implantations à Saint-Quentin, Strasbourg et Béthune, 2023, Maubeuge, Valence, et Bordeaux et 2024 l’ouverture à Bourges ainsi que Saint-Omer. Nous sommes présents dans toutes les régions de France – hormis la Corse – à travers 47 agences. Aujourd’hui, on recherche des bâtiments avec beaucoup de surface. On apprécie lorsqu’on travaille déjà dans le coin. Par exemple, Salti livrait beaucoup au Havre, naturellement on a ouvert à Rouen. En moyenne, une ouverture d’agence représente 1,5 million d’euros d’investissement.

Justement, sur quoi portent principalement vos investissements ?

Nous investissons beaucoup dans la transition énergétique : en moyenne ces cinq dernières années, on a injecté 35 M€ par an. En 2023, les investissements globaux sont montés à 50 M€ et 60 M€ en 2024. Ils ont porté – à hauteur de 50 % - sur les produits bas carbone nouvelle génération (électrique, hybride, diesel peu polluant...) mais aussi sur le renouvellement de parcs, l’ouverture d’agences et de nouveaux marchés. Finalement, même les mauvaises années, nous avons continué à investir ce qui nous a permis de garder des liens forts avec nos fournisseurs et partenaires.

Quelle est la part de produits bas carbone sur votre flotte globale ?

Aux alentours de 45%, sur une flotte de 15 000 matériels. 45% mais avec de grosses disparités car il y a des familles de produits où il n’y a pas d’alternative électrique, les mini pelles par exemple. Mais cela bouge très vite. Par exemple, les camions semi-remorque 100 % électrique n’existaient pas il y a encore 2 ans. Dès qu’il y a une innovation sur le sujet, et qu’elle est viable économiquement, on fonce. Nos nacelles 100% électrique, tout terrain, sont une révolution pour les professionnels : pas de bruit, pas de pollution. Par contre sur l’hydrogène, les fournisseurs ne sont pas encore prêts.

Y-a-t-il encore des professionnels sceptiques ou ont-ils au contraire tous pris la vague verte ?

Il y a une vraie demande ! Les professionnels ont pris la vague. Nous sommes convaincus que si une entreprise n’était pas soucieuse de son bilan carbone et de sa contribution à protéger la planète, elle n’existerait plus. La location dans un monde de ressources limités c’est déjà super mais ça perdrait tout son sens de ne pas mettre à disposition des produits vertueux. C’est pour cela que nous proposons à la fois de la location et du matériel vertueux.

La réparation fait-elle partie également de votre politique ?

Tout à fait ! Sur notre effectif de 520 collaborateurs, 50 % sont des mécaniciens. On les forme constamment sur les réparations des nouvelles machines pour faire en sorte de prolonger la durée de vie du parc. Nous avons mis en place le dépannage à distance, car souvent les pannes sont liées à une mauvaise utilisation ou une mauvaise compréhension de la notice. Les visio permettent d’éviter les déplacements inutiles. En 2023, on compte 1000 dépannages en visio sur toute la France. C’est très bien mais ce n’est pas encore suffisant. On compte tripler la réparation à distance d’ici 2027.

L’international est-il un axe de développement pour Salti dans les années à venir ?

Franchir le cap à l’étranger serait super mais on a encore du boulot en France. Mais aller à l’international serait magique, comme une entreprise qui passe de l’échelle régionale à nationale, on apprendrait beaucoup de choses. Sur notre secteur d’activité, il n’y a pas d’appel d’offres européen en tant quel tel, c’est pays par pays. Au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, la location est extrêmement développée.

Quelle est la feuille de route 2025 ?

Nous passerons le cap des 50 agences en 2025 ! Puis la stratégie de digitalisation et de transition énergétique va s’accélérer. On est en plein dedans, avec énormément de projets activés. Les virages vont être importants, le tout est de comment bien embarquer nos équipes. Côté parc machines, nous pensons nos propres consommations mais le défi est aussi d’accompagner nos clients dans la décarbonation de leurs chantiers. Nous avons également comme projet, d’équiper nos agences en panneaux photovoltaïques, cela représente aussi d’importants investissements.

La RSE a une place prépondérante dans votre management. Comment se traduit-elle concrètement ?

L’humain est en effet au coeur de nos préoccupations ! Et nos labellisations (MASE ; Positive Company)1 le démontrent d’ailleurs. Nous avons instauré une politique d’évolution en interne très importante. On peut citer énormément d’exemples «d’enfants» Salti qui arrivent jeunes et à qui on délivre des médailles de 20, 30 ou 40 de carrière chez nous. On retrouve parmi eux d’anciens chauffeurs devenus chef de régions. Le bien-être des collaborateurs prime. De nombreuses activités sont organisés chaque semaine. Puis on a mis en place toute une politique de primes à savoir la prime présence instaurée en 1998, la prime d’intéressement en 2017, le partage de profit… Il n’y a pas de succès sans partage de profit. Et le montant est identique pour tous, quel que soit le poste au sein de l’entreprise. Mais malheureusement comme toutes les entreprises, il reste difficile de recruter.

Selon vous, quelle est la clé pour perdurer ?

Je dirais qu'il n’y a pas de succès sur le long terme sans performance globale.

© Lena Heleta

1. Salti s’est vu décerné deux labels : Positive Company et MASE (Manuel d’Amélioration Sécurité des Entreprises). Cela signifie un système de management dont l’objectif est l’amélioration permanente et continue des performances sécurité, santé et environnement en entreprise.

Bonus

Une personnalité qui vous inspire ?
L’écrivain Miguel Ruiz avec ses quatre accords toltèques.

Un lieu favori? 

L’arrière-pays de la côte d’opale.

Un conseil pour de jeunes dirigeants ? 

Apprendre rapidement de ses erreurs, aimer ses équipes et se former tout au long de sa carrière. En tant que dirigeant, j’ai beaucoup appris grâce au CJD (centre des jeunes dirigeants) puis par l’APM (Association pour le progrès du dirigeant par le management).

Les grands chantiers de Salti en région

La prison d’Arras a été un chantier 100% Salti. On peut citer également les deux gigafactories de batteries électriques, l’usine de Verkor à Dunkerque et ACC à Douvrin, où Salti a installé plus de 350 bungalows et une multitude d’engins sur place. L’ETI a également participé aux chantiers de la nouvelle digue de Malo, l’hôpital de Lens et de Dunkerque ou encore la construction de réacteurs EPR à Gravelines.