Salti : la location, une affaire de famille
Troisième acteur français du marché de la location de matériels dédiés aux professionnels du BTP, Salti poursuit sa croissance en plaçant la décarbonation au coeur de sa stratégie. Cette ETI indépendante aux 520 collaborateurs et 142 millions d’euros de chiffre d’affaires semble avoir trouvé la recette du succès : le respect pour la planète et les collaborateurs transmis de génération en génération. Interview exclusive avec Jean-Sébastien Guiot, CEO
Vous
êtes aujourd’hui la quatrième génération à la tête de
l’entreprise familiale avec
votre frère Jean-Christophe. Racontez-nous
l’histoire de Salti…
Notre arrière
grand-père a fondé l’entreprise Guiot, à Lomme en 1892,
spécialisée dans la construction d’usines, d’entrepôts, de
bâtiments administratifs ou encore d’églises. Dans les années
1950, la société familiale devient entreprise de transport
industriels. Suite au décès de notre arrière grand-père, Madeline
Guiot, notre arrière grand-mère prend le relais. C’est alors une
des premières femmes à diriger une entreprise dans la région.
C’était quelqu’un de très fort qui a voulu tenir le plus
longtemps possible pour que ses enfants soient suffisamment grands
pour reprendre l’entreprise. En 1960, c’est donc mon grand-père
qui prend les commandes et créé Salti, acteur de location de
matériel pour les professionnels du BTP.
À
l’époque, la location avait-elle le vent en poupe ?
C’était
une vraie nouveauté la location de matériel. A
cette période, les professionnels
préféraient avoir leur propre matériel mais
dans un monde de ressources limitées, on sentait que le partage
avait
beaucoup de sens et la location naturellement avait une place à
prendre. A cette
époque, Salti œuvre
d’ailleurs pour de gros chantiers
comme le tunnel sous la manche, les
arrivée de Coca-Cola et d’Arcelor
Mittal dans le Dunkerquois,
la construction de lignes de TGV,
d’hôpitaux et du stade de France…
La
transmission était-elle anticipée ou s’est-elle
faite plutôt naturellement ?
Ni
Jean-Christophe ni moi n’étions « prédestinés » à
reprendre l’entreprise familiale. La précédente génération nous
a donné notre chance. Ils nous ont laissé la main pour vérifier si nous
étions réellement motivés puis ont été rassurés. À la
nordiste, on m’a dit 'mon fils tu vas comprendre la réalité
du métier'. Je suis arrivé en 1998, j’ai commencé
commercial terrain. Mon frère Jean-Christophe est arrivé lui il y a
17 ans. Nous avons occupé plusieurs postes jusqu’à celui de
directeur général pour Jean-Christophe et celui de président
directeur général pour moi, fonction que j’occupe depuis 2011.
On
dit souvent que travailler au sein d’une entreprise familiale est
une source de motivation supplémentaire. Vous confirmez
Jean-Sébastien ?
C’est
vrai ! Nous souhaitons avant toute chose rester
indépendants et transmettre à la la cinquième génération. Nous
ne sommes que de passage.
La précédente génération garde t-elle toujours un œil sur l’activité et la stratégie de Salti ?
Ils
ont compris qu’être trop présents poserait plus de problèmes comme on a pu le voir dans d'autres entreprises (rires). Le
jour où ils ont décidé de nous transmettre le flambeau à
Jean-Christophe et moi, ils se sont complètement retirés et ne
viennent plus aux événements désormais. C’est à nous de bosser,
chacun notre tour. Ils sont encore présents au conseil de
surveillance mais n’interviennent plus dans le quotidien de
l’entreprise et sur nos choix stratégiques. Ce qu’il nous ont
transmis c’est à la fois des bases solides et de belles valeurs :
la préservation de la planète et la proximité avec les équipes.
«Une entreprise familiale ne résume pas en mois mais en génération»
Quels
ont été les virages opérés par vous et votre frère depuis
que vous êtes aux commandes du groupe ?
La
digitalisation et la RSE ! Le métier s’est modernisé et a
tellement changé. La génération précédente rêvait d’aller
vers le zéro papier, et finalement la stratégie de digitalisation a
permis d’automatiser un nombre de procédures incroyables. Côté
RSE, cette politique était déjà présente mais à l’époque, les
constructeurs n’étaient pas en capacité de produire des gammes
vertes et innovantes. Les véhicules électriques par exemple
n’existaient pas. Aujourd’hui, on investit énormément sur du
matériel décarboné.
Les collectivités construisent moins actuellement par rapport notamment à la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Cela vous inquiète t-il ?
Cela nous impacte indirectement forcément ! Mais avec les collectivités, tout ne tourne pas autour de la construction, il y a aussi l’entretien du parc, etc. On mesurera l’impact dans le futur. Outre les collectivités, nous travaillons avec des entreprises de toutes tailles, des grands comptes aux artisans, et de tous horizons car tout le monde a besoin de travailler en hauteur.
La crise actuelle du logement a t-elle un impact sur votre activité ?
On
ne ressent pas d’impact sur notre activité, au contraire,
Salti est en progression. Nous avons réalisé 130 M€ de CA en 2023
et passerons à 142 M€ de chiffre d’affaires en 2024.
Nous
avons beaucoup de boulot dans le cadre de la rénovation énergétique
et la pose de panneaux photovoltaïques, cela compense le
ralentissement de la construction de logements neufs. Finalement s’il
y a moins de rachats, il y a toujours des agrandissements ou des
extensions, c’est là que nous avons une carte à jouer. Puis la
crise du logement ne concerne ni les usines, ni le tertiaire…
«Nous travaillons en permanence sur une dizaine de villes»
Votre
croissance se traduit-elle notamment par l’ouverture d’agences
chaque année ?
On
tourne aux alentours de trois ouvertures d’agences par an et
travaillons en permanence sur une dizaine de villes. 2022 marque les
implantations à Saint-Quentin, Strasbourg et Béthune, 2023,
Maubeuge, Valence, et Bordeaux et 2024 l’ouverture à Bourges ainsi
que Saint-Omer. Nous sommes présents dans toutes les régions de
France – hormis la Corse – à travers 47 agences. Aujourd’hui,
on recherche des bâtiments avec beaucoup de surface. On apprécie
lorsqu’on travaille déjà dans le coin. Par exemple, Salti livrait
beaucoup au Havre, naturellement on a ouvert à Rouen. En moyenne,
une ouverture d’agence représente 1,5 million d’euros
d’investissement.
Justement,
sur quoi portent principalement vos investissements ?
Nous
investissons beaucoup dans la transition énergétique : en
moyenne ces cinq dernières années, on a injecté 35 M€ par an. En
2023, les investissements globaux sont montés à 50 M€ et 60 M€ en 2024.
Ils ont porté – à hauteur de 50 % - sur les produits bas
carbone nouvelle génération (électrique, hybride, diesel peu
polluant...) mais aussi sur le renouvellement de parcs, l’ouverture
d’agences et de nouveaux marchés. Finalement, même les mauvaises
années, nous avons continué à investir ce qui nous a permis de
garder des liens forts avec nos fournisseurs et partenaires.
Quelle
est la part de produits bas carbone sur votre flotte globale ?
Aux
alentours de 45%, sur une flotte de 15 000 matériels. 45% mais avec
de grosses disparités car il y a des familles de produits où il n’y
a pas d’alternative électrique, les mini pelles par exemple. Mais
cela bouge très vite. Par exemple, les camions semi-remorque 100 %
électrique n’existaient pas il y a encore 2 ans. Dès qu’il y a
une innovation sur le sujet, et qu’elle est viable économiquement,
on fonce. Nos nacelles 100% électrique, tout terrain, sont une
révolution pour les professionnels : pas de bruit, pas de
pollution. Par contre sur l’hydrogène, les fournisseurs ne sont
pas encore prêts.
Y-a-t-il
encore des professionnels sceptiques ou ont-ils au contraire tous
pris la vague verte ?
Il
y a une vraie demande ! Les professionnels ont pris la vague. Nous
sommes convaincus que si une entreprise n’était pas soucieuse de
son bilan carbone et de sa contribution à protéger la planète,
elle n’existerait plus. La location dans un monde de ressources
limités c’est déjà super mais ça perdrait tout son sens de ne
pas mettre à disposition des produits vertueux. C’est pour cela
que nous proposons à la fois de la location et du matériel
vertueux.
La
réparation fait-elle partie également de votre politique ?
Tout
à fait ! Sur notre effectif de 520 collaborateurs, 50 %
sont des mécaniciens. On les forme constamment sur les réparations
des nouvelles machines pour faire en sorte de prolonger la durée de
vie du parc. Nous avons mis en place le dépannage à distance, car
souvent les pannes sont liées à une mauvaise utilisation ou une
mauvaise compréhension de la notice. Les visio permettent d’éviter
les déplacements inutiles. En 2023, on compte 1000 dépannages en
visio sur toute la France. C’est très bien mais ce n’est pas
encore suffisant. On compte tripler la réparation à distance d’ici
2027.
L’international
est-il un axe de développement pour Salti dans les années à
venir ?
Franchir
le cap à l’étranger serait super mais on a encore du boulot en
France. Mais aller à l’international serait magique, comme une
entreprise qui passe de l’échelle régionale à nationale, on
apprendrait beaucoup de choses. Sur notre secteur d’activité, il
n’y a pas d’appel d’offres européen en tant quel tel, c’est
pays par pays. Au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, la
location est extrêmement développée.
Quelle
est la feuille de route 2025 ?
Nous
passerons le cap des 50 agences en 2025 ! Puis la stratégie de
digitalisation et de transition énergétique va s’accélérer. On
est en plein dedans, avec énormément de projets activés. Les
virages vont être importants, le tout est de comment bien embarquer
nos équipes. Côté parc machines, nous pensons nos propres
consommations mais le défi est aussi d’accompagner nos clients
dans la décarbonation de leurs chantiers. Nous avons également
comme projet, d’équiper nos agences en panneaux photovoltaïques,
cela représente aussi d’importants investissements.
La
RSE a une place prépondérante dans votre management. Comment se
traduit-elle concrètement ?
L’humain
est en effet au
coeur de nos
préoccupations ! Et
nos labellisations (MASE ;
Positive Company)1 le
démontrent d’ailleurs. Nous avons instauré une politique
d’évolution en interne très importante. On peut citer énormément
d’exemples «d’enfants» Salti qui arrivent jeunes et
à qui on délivre des médailles de 20, 30 ou 40 de carrière chez
nous. On retrouve parmi eux d’anciens chauffeurs devenus chef de
régions. Le bien-être des collaborateurs prime. De nombreuses
activités sont organisés chaque semaine.
Puis on a mis en place toute
une
politique de primes à
savoir la prime présence
instaurée en 1998, la prime d’intéressement en 2017, le
partage de profit… Il n’y a pas
de succès sans partage de profit. Et
le montant est identique pour tous, quel que soit le poste au sein de
l’entreprise. Mais malheureusement comme toutes les
entreprises, il reste difficile de recruter.
Selon
vous, quelle est la clé pour perdurer ?
Je dirais qu'il
n’y a pas de succès sur le long terme sans performance globale.
1. Salti s’est vu décerné deux labels : Positive Company et MASE (Manuel d’Amélioration Sécurité des Entreprises). Cela signifie un système de management dont l’objectif est l’amélioration permanente et continue des performances sécurité, santé et environnement en entreprise.
Bonus
Une personnalité qui vous inspire ?
L’écrivain Miguel Ruiz avec ses quatre accords toltèques.
Un lieu favori?
L’arrière-pays de la côte d’opale.
Un conseil pour de jeunes dirigeants ?
Apprendre rapidement de ses erreurs, aimer ses équipes et se former tout au long de sa carrière. En tant que dirigeant, j’ai beaucoup appris grâce au CJD (centre des jeunes dirigeants) puis par l’APM (Association pour le progrès du dirigeant par le management).
Les grands chantiers de Salti en région
La prison d’Arras a été un chantier 100% Salti. On peut citer également les deux gigafactories de batteries électriques, l’usine de Verkor à Dunkerque et ACC à Douvrin, où Salti a installé plus de 350 bungalows et une multitude d’engins sur place. L’ETI a également participé aux chantiers de la nouvelle digue de Malo, l’hôpital de Lens et de Dunkerque ou encore la construction de réacteurs EPR à Gravelines.